Les filles font le mur

En street art, les femmes sont moins mises en avant que les hommes. L’institut Bernard Magrez, à Bordeaux, inverse la tendance en réunissant neuf femmes artistes de renommée internationale

©patricia-marini« Malgré la richesse et la créativité de leur travail, les femmes « street artistes » sont peu représentées dans les expositions collectives de haut niveau. Les programmateurs, généralement des hommes, ont tendance à les oublier », déplore Aurélien Desailloud, commissaire de l’exposition « Kaléidoscope » visible jusqu’au 17 février prochain à l’Institut Bernard Magrez, à Bordeaux.
D’où l’idée de leur consacrer une exposition éclectique où les styles et les façons d’appréhender le passage du mur à la toile se répondent d’une salle à l’autre. Une pour chacune de ces neuf artistes qui, selon lui, figurent parmi les plus reconnues au plan international. Dont la Sud-Africaine Faith XLVII, qui affiche sur les murs ses quêtes spirituelles, l’Américaine Swoon et ses portraits de papiers, ou la Franco-Anglaise Yz (prononcez « eyes ») et ses amazones africaines.

Artistes tout court

©patricia-mariniLa Toulousaine Fafi et la Camargaise Koralie font partie des pionnières de la discipline. Elles ont, toutes deux, vécu plusieurs années à New York. La première y expose régulièrement ses personnages sexy et provocateurs et la seconde ses rosaces kaléidoscopiques et ses palmeraies, ce qui ne les empêche pas de partager le constat dressé par Aurélien Desailloud, lequel s’applique d’ailleurs au milieu de l’art en général. « Nous sommes des artistes tout court, et voulons être considérées pour notre art et pas pour notre genre », s’insurge Fafi. « J’ai même failli refuser l’invitation, reconnaît Koralie. Je trouvais un peu condescendant de réserver une exposition aux femmes. Malgré tout, c’est important de le faire. C’est le regard du public qui va faire évoluer les choses. » Cela semble en bonne voie puisque le vernissage, qui s’est déroulé le 13 novembre dernier, a attiré quelque 1 500 visiteurs.

Faire ses preuves

©patricia-mariniA leur début dans les années 1990, ces artistes femmes n’ont pas eu de mal à imposer, dans la rue, un style bien à elles. « Les garçons étaient un peu jaloux de notre succès, car nous étions une minorité et suscitions alors plus d’intérêt qu’eux », se remémore Koralie. « Mais ils nous acceptaient si on courait aussi vite qu’eux », complète Fafi. Pour autant, en dépit de leur notoriété, elles continuent de devoir faire leurs preuves auprès des marchands d’art et des collectionneurs qui, selon elles, s’intéressent davantage à la cote de leurs homologues masculins. De plus, la maternité ralentit souvent leur carrière. « Lorsque j’’étais enceinte de sept mois, on m’a interdit de monter dans une nacelle pour réaliser une fresque, alors que j’en m’en sentais parfaitement capable », s’offusque la trentenaire Rouge, dans son atelier du quartier Belcier à Bordeaux. « L’obligation familiale ne rentre pas dans la figure mythologique de l’artiste », regrette-t-elle. Avec cette exposition, l’Institut Bernard Magrez prouve qu’il est grand temps de laisser tomber les étiquettes.

Rouge, la Bordelaise
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En 2012, alors qu’elle est étudiante aux Beaux-Arts de Bordeaux, Rouge transforme les murs de la ville en « cour de récréation », pour ses collages figuratifs et ses dentelles de papier. Une cour de récréation qui devient progressivement un terrain de jeux professionnel pour l’artiste, qui mène des projets de médiation et d’engagement social là où on l’invite, comme en Inde. Sa participation, cet été, à l’évènement de la base sous-marine « Légendes Urbaines », à Bordeaux, a marqué un tournant dans sa carrière, estime-t-elle. Les œuvres qu’elle a choisi de présenter à l’Institut Bernard Magrez, une immense et fragile sculpture de papier à côté d’une série de peintures à l’huile, ont frappé les esprits. « Elle est arrivée sur la pointe des pieds et a beaucoup impressionné », observe le commissaire d’exposition, qui lui a donné carte blanche. Pour preuve, elle vient d’être approchée pour la première fois par un galeriste… ou plutôt une galeriste.

Koralie à Bayonne
Diplômée de l’École d’architecture de Montpellier, Koralie a fait sa première expérience de graffiti sur les murs toulousains avec Fafi, qui lui transmet le virus. Après New York, puis Paris, elle a installé depuis deux ans son atelier à Bayonne. C’est pourquoi elle a collaboré au festival Point de vue organisé du 17 au 21 octobre dernier par Spacejunk Art Centers. Pendant quatre jours à raison de douze heures chacun, elle a peint, avec l’aide d’une assistante, une fresque murale de 12 mètres de haut sur 6 mètres de large, visible au 14 rue du Brigadier-Muscar. Elle expose dorénavant son travail dans les galeries du monde entier comme dans des foires d’art contemporain. En 2019, elle devrait participer à la Biennale de Venise, manifestation majeure de la scène artistique et culturelle internationale.

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Pratique
Kaleidoscope : Koralie, Fafi, Miss Van, Rouge, Faith XLVII, Swoon, Natalia Rak, YZ et BTOY.
Jusqu’au dimanche 17 février 2019. Du vendredi au dimanche de 13h à 18h. Visite guidée tous les samedis à 16h15. Atelier de loisirs créatifs tout public, tous les samedis à 15h