Le handicap en mode Joyeux

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Après Rennes en 2017, le dernier-né des cafés-restaurants Joyeux, qui forment et emploient des personnes avec un handicap mental et cognitif, a ouvert à Bordeaux en juin. En cette période de confinement, il pratique le click and collecte pour ses marques de café comme pour ses menus

Le handicap en mode Joyeux

©patricia-marini

À peine franchit-on la porte de ce nouveau café-boutique bordelais ouvert le 2 juin dernier à proximité de la place Fernand Lafargue, qu’on y est accueilli par un sonore « Bienvenue au Café Joyeux ! ». Derrière le masque de Tatiana on devine son large sourire. Comme Alex, Florian, Charlotte, François ou Claire, elle est l’un des 12 « Équipiers Joyeux » handicapés à travailler dans cet établissement hors norme. Ce mardi matin, sept d’entre eux s’activent en cuisine et en salle alors que les premiers clients sirotent leur café. « Laver la salade, cuire les cookies, préparer les jus de légumes sont des gestes quotidiens auxquels ils sont habitués. Florian sait par exemple qu’il faut ranger les fruits et légumes tous les matins dans la chambre froide. Pas besoin de lui rappeler », observe Camille, la responsable cuisine, en répartissant les tâches. Le jeune homme a fait de nombreux stages en restauration au point de pouvoir se débrouiller de manière autonome. Ce n’est pas le cas de tous. D’où la constitution de binômes pour qu’ils s’entraident. « Ça les valorise », complète Blandine Boule, manager du lieu. Tatiana est un pilier de l’équipe. Elle aime montrer aux autres. Tout comme Georges qui a un diplôme en restauration ». En toute bienveillance.

S’adapter sans infantiliser

©patricia-mariniQuand les clients arrivent en nombre pour le déjeuner, tous sont prêts et enthousiastes. Alex est fier de lui : malgré ses difficultés pour lire, il a réussi, avec l’aide de Caroline, la responsable de salle, à écrire le menu du jour sur l’ardoise. Tatiana, à la caisse, prend les commandes en plaisantant et Florian et François les apportent sur les tables au fur et à mesure. Si l’espace d’un instant, ce dernier semble perdu avec son potage, il se reprend sans que personne n’ait rien remarqué. L’idée est de « les accepter tels qu’ils sont pour que le handicap devienne ordinaire », souligne Blandine. Diplômée de l’IAE (école universitaire de management) de Bordeaux, elle ne se destinait pas à la restauration mais a eu un vrai coup de cœur pour l’entreprise. « Il ne s’agit pas juste d’un travail, nous effectuons aussi un suivi de l’équipier en prenant en compte sa vie de famille », ajoute Antoinette Le Pomellec, responsable des opérations et de la formation. En adaptant les contrats aux capacités de chacun et à ses sensibilités, en s’appuyant sur des parents référents, mais aussi sur les éducateurs comme Virginie Quemin. Coordinatrice à l’IME Alouette (institut médico-éducatif), elle suit plus particulièrement Auguste et Florian. Son rôle ? « Venir en appui de l’entreprise dans la compréhension du handicap, en décortiquant les actes du quotidien. » Elle peut aussi, par exemple, aider les salariés à se procurer une carte de transport pour que chacun d’entre eux soit acteur de son nouveau statut.  Sandrine est la maman d’Auguste, qui travaille pour la première fois avec un « petit » contrat de 2 fois 2 heures. « Je ne l’aurais jamais imaginé. Cela a changé notre vie », reconnaît-elle. « Il est fier de lui et vient avec plaisir ».

Première promotion

©patricia-mariniLa formation y est tout aussi déterminante. Comme tous les mercredis matin, l’ambiance est studieuse dans la salle de réunion au-dessus du restaurant. Dans le cadre de leur contrat encadré par le centre de formation d’apprentis Joyeux, ils seront la première promotion à obtenir dans deux ans, un Certificat de qualification professionnelle (CQP) agent polyvalent de restauration. Ce diplôme reconnu par l’État permettra, à ceux qui le souhaitent, de valoriser leurs compétences auprès d’autres employeurs, les autres poursuivront à leur poste. Le thème du jour ? la non-conformité des produits à la livraison. Tatiana, Charlotte et Clémentine se prêtent avec enthousiasme à un jeu de rôle : l’une livre la marchandise, la deuxième la réceptionne et la troisième vérifie le respect de la procédure. « Certes, il faut faire avec les difficultés de chacun, mais l’envie d’apprendre est là », note leur formatrice. Marie Peringuey est une ancienne professionnelle de la restauration collective.

Tout un processus dont n’ont pas forcément conscience, même s’ils trouvent l’idée formidable, les « convives » qui fréquentent le lieu. Pour la plupart de ces touristes de passage, étudiants, habitants du quartier séduits par ce vaste espace coloré et lumineux, « ça reste un déjeuner normal », comme le soulignent des collègues attablés en terrasse. Le plus beau compliment à faire à Yann Bucaille, à l’origine de cette chaîne solidaire.

 

Yann Bucaille Lanrezac fondateur
©patricia-marini À la tête d’une entreprise familiale dans le secteur de l’énergie et propriétaire d’un hôtel-restaurant étoilé, Yann Bucaille Lanrezac s’en éloigne en 2010 pour se lancer dans des projets solidaires. L’aventure démarre avec l’achat d’un catamaran en Bretagne, pour organiser des sorties pour les publics en difficulté. « Des rencontres bouleversantes », comme avec Théo, jeune trisomique qu’il embauche dans son hôtel-restaurant, lui donnent envie d’aller plus loin. Le premier Café Joyeux financé sur ses fonds propres voit le jour à Rennes en 2017, suivi de trois autres à Paris. Aujourd’hui, il s’y consacre quasiment à temps plein, entouré d’une quinzaine de professionnels des ressources humaines, du handicap et de la formation. Yann Bucaille a créé le fonds de dotation Émeraude Solidaire, unique actionnaire à but non lucratif de la SARL Cafés Joyeux, entreprise sociale agréée ESUS. Cette fondation offre la possibilité à des mécènes de faire des dons déductibles de leurs impôts. À Bordeaux, une centaine d’entre eux ont financé les quelque 500 000 euros nécessaires à l’achat du fonds de commerce et les travaux. Il n’en demeure pas moins que « les équipiers perçoivent leur salaire grâce à leur travail », insiste l’entrepreneur. Avec deux sources de revenus, la restauration et la vente de produits dérivés, de café torréfié et bientôt de machines à grain. Les demandes d’ouverture sont de plus en plus nombreuses à arriver sur son bureau, tout comme les candidatures spontanées. Le café de Rennes devrait être sous peu à l’équilibre. En 2021, Lille, Lyon, Versailles et Tours devraient ouvrir leurs portes.

Ce qu’ils font

Ils rendent le handicap visible et favorisent la rencontre en milieu ordinaire en offrant un travail en ville et en formant des personnes autistes, trisomiques ou avec des troubles cognitifs.

Pourquoi on en parle ?

Sur plus de 750 000 personnes, en France, en situation de handicap mental, à peine 0,5 % travaillent en milieu ordinaire. On en parle pour donner envie à d’autres de se lancer dans l’aventure. Voire pour inciter l’implantation de nouveaux Cafés Joyeux partout en France.

Comment les contacter ?

Tél. : 05 57 35 39 80

bordeaux@cafejoyeux.com

Où est-ce ?

Mardi de 11h à 18h, du mercredi au samedi de 11h à 22 h. 31 rue Sainte-Colombe à Bordeaux.