Le maître du pain

 

Dans l’ Entre-deux-Mers,  Jan Demaître, le chantre du pain au levain naturel cuit au feu de bois, fait profiter les particuliers de son savoir-faire. Retour sur une saga familiale qui a démarré il y a 40 ans dans la région.

Dans les albums de Jan et Niki Demaître, les photos de leurs enfants côtoient celles de leurs boulangeries. Pas étonnant : le pain a scellé leur vie de famille. Ils étaient pourtant loin de l’imaginer, quand ils ont quitté, en 1976, leur Belgique natale, et la troupe de théâtre qu’ils y ont fondée, pour venir s’installer en France. Soucieux d’offrir une autre vie à leurs deux filles, qu’ils voient à peine grandir, ces adeptes de la macrobiotique, une philosophie alimentaire proche du végétalisme et de la nature, suivent un couple d’amis en Lot-et-Garonne dans le but d’y créer une communauté. Las ! le projet tourne court et Jan doit trouver au plus vite un travail pour nourrir sa famille.

Son grand-père était boulanger et lui-même a toujours confectionné son pain. Pourquoi ne pas se lancer ? D’autant plus que, dans les étables du Château de Gueyze, où ils sont accueillis par les Gevaert, fondateurs de la marque d’aliments bio Lima, se niche un ancien four à bois. Niki se souvient encore de l’air éberlué des habitants de Nérac quand ils ont débarqué, pour leur premier marché, avec leur look baba cool et une soixantaine de miches au levain naturel cuites au four à bois. Elle convainc les anciens de goûter ce qu’ils appellent avec mépris « le pain de la guerre », qui, une fois en bouche, leur rappelle le goût de leur enfance. L’étal se vide en quelques heures, signe pour le couple qu’il leur faut persévérer. À condition d’apprendre à maîtriser davantage cette matière vivante pour assurer une qualité régulière. « Pour économiser, car on avait du mal à joindre les deux bouts, on tamisait la farine avec les filles le dimanche », raconte-elle en souriant. Le pain de Jan ne met pas longtemps à se faire remarquer. Dès 1977, le journaliste Laurent Cabrol, envoyé par Pierre Bonte pour son émission de radio, fait le déplacement de Paris.

Désolation
©patricia-mariniQuand Jan est au fournil, la jeune maman parcourt, elle, près de 1 500 km dans douze départements pour livrer les magasins bio ou vendre son pain sur les marchés, le petit-dernier Matthias, dans sa 2 CV. L’activité ne cesse de se développer et la marque  Pain Maître est déposée. La ferme, avec son four à bois, qu’ils ont restaurée pour y accueillir un point de vente, devient exiguë et les enfants grandissent. En 1988, ils délaissent la campagne pour la ville et posent leurs valises à Bordeaux, où vit une partie de leur clientèle, comme les chefs Jean-Pierre Xiradakis ou Jean-Marie Amat. Ils investissent dans un local fermé depuis plusieurs années, de la rue Camille Sauvageau, à Saint-Michel. Alors qu’ils ont mis en vente leur ferme pour financer cette acquisition, ils manquent de tout perdre. C’est avec émotion qu’ils évoquent cet épisode douloureux : quatre ans de procédure pour pouvoir expulser l’escroc qui a fait main basse sur leur maison sans leur verser un centime. Leur situation financière est plus que critique, alors que la boulangerie ne désemplit pas. Les Bordelais apprécient leurs pains fabriqués toujours selon la même recette, et leurs biscuits secs sans sucre ajouté. Même Jean-Pierre Coffe pousse leur porte. En 1996, ils sont toutefois obligés de déposer le bilan et se retrouvent en redressement judiciaire. Grâce au soutien financier des amis et de la famille, ils parviennent à recréer une structure sans avoir à fermer boutique et accélèrent leur développement.

Transmission
©patricia-mariniJan finit par laisser les rênes à sa fille Kaatje, devenue elle-même boulangère, pour ouvrir un centre de formation pour les professionnels en Sud-Gironde. Il a envie de transmettre sa passion à ceux qui veulent suivre sa voie : « La levure est une béquille en boulangerie : nous n’en avons pas besoin et le ferment naturel est bien meilleur pour la santé puisqu’il prédigère les acides phytiques qui irritent l’intestin », considère-t-il. Il formera une trentaine de boulangers à sa technique dont Aristide du Blé en herbe, rue Judaïque, l’un de ses premiers ouvriers, ou Érick Augier à l’origine d’Amandine 1900, à Caudéran. Avant de passer la main et de céder la boutique de Saint-Michel et la marque Pain Maître en 2008. Si Niki continue à travailler quelques années comme documentaliste après avoir repris des études, une envie qui la taraudait depuis longtemps, le couple se met finalement au vert dans  l’Entre-deux-Mers. Mas très vite, une nouvelle idée germe dans leur esprit. Pas question pour eux de rester inactifs. Le boulanger n’a jamais cessé de confectionner leur pain quotidien. Niki lui suggère donc de montrer aux particuliers comment s’y prendre pour faire chez soi du pain au levain naturel, un moyen aussi de partager leur histoire. L’association La Femme du boulanger  voit le jour. À 72 ans, Jan reprend du service. Avec succès, puisque pas moins de 160 ateliers ont été organisés en trois ans, dans leur cuisine. Juste retour des choses : plus de quarante ans après l’avoir quittée, ils ont renoué cet été avec la scène en participant à la Bataille de Castillon.
 

L’atelier du pain : atelier de 3 h le mercredi et le samedi matin de 9h à 12h à Civrac-sur-Dordogne. On repart avec son pain de 800 g et un échantillon de levain chef pour pouvoir le refaire à la maison. 5 personnes par séance.  45 € par pers.Tél. : 05 57 41 48 86.