Le Vénitien Andrea Cappai a jeté l’ancre à Bordeaux pour créer une maison d’édition spécialisée dans la littérature maritime et le récit de voyage.
S’il est une passion qui gouverne la vie d’Andrea Cappai depuis sa tendre enfance, c’est bien celle des bateaux. « D’aussi loin que je me souvienne, mes souvenirs sont liés aux bateaux et notamment à celui de mon père, un bateau vénitien typique. Je n’avais pas encore deux ans ». Et pour cause, à Venise, sa ville natale, le bateau est à la fois le moyen le plus commode de se rendre d’un point à un autre et une véritable culture. Dans chaque palais, un garage à bateau abritait une embarcation à fond plat, à rame et à voile pour manœuvrer aisément sur la lagune. Celui de la grand-mère d’Andrea ne dérogeait pas à la règle. Ses meilleurs souvenirs d’adolescent ou d’étudiant, c’est à bord de son S’ciopon qu’il les a vécus : « Nous partions en convoi jusqu’aux îles voisines pour faire la fête ou refaire le monde ». Et c’est encore un bateau qui a changé sa vie il y a quelques années, en lui ouvrant les portes de la littérature.
Changement de cap
En 2008, le marin, qui pense qu’on doit « trouver un bateau comme un chat et non pas l’acheter », cherche un voilier de plaisance classique pour remplacer le sien. Il entend parler d’un cruiser à céder à la frontière écossaise par une entreprise en faillite. Vu son pedigree, — le bateau en bois, conçu par le fameux architecte naval Robert Clark est sorti en 1939 des chantiers navals écossais réputés Miller & Sons —Andrea n’hésite pas à entreprendre le voyage. Il récupère en même temps que « Finora » (« sourcil de blonde » en gaélique) son certificat d’origine avec le nom de son premier propriétaire. Une information qui éveille sa curiosité. Chercheur scientifique dans le domaine de la phytopathologie, il a l’habitude des quêtes minutieuses. Il retrouve sans mal Frederick Daniel Murray Baxter fils, qui lui envoie plans d’origine et photos de l’album familial. Un cadeau de valeur qui lui permet de restaurer le yacht à l’identique. « C’est alors que j’ai réalisé qu’il n’existait aucun ouvrage sur cet architecte, qui a pourtant bouleversé la voile moderne. » Le marin ne craint pas les défis, il entreprend de faire l’inventaire des bateaux conçus par Robert Clark et se penche sur sa vie. Deux années de travail qui donnent naissance à un récit publié par la maison d’édition italienne Nutrimenti, créée en 2001 par le rédacteur en chef du groupe de presse l’Espresso Andrea Palombi et la graphiste Ada Carpi. Un coup d’essai qui se transforme en coup de maître puisqu’il est avec cet ouvrage finaliste, en 2011, du prix littéraire Marincovitch, dans la catégorie culture maritime.
Voyager c’est vivre
À l’époque, le chercheur est consultant en botanique pour le plus grand producteur mondial de boutures de poinsettas, d’œillets et de géraniums. Rien à voir avec sa passion pour la culture maritime. Face au succès de son premier ouvrage, il en écrit, entre 2012 et 2013, trois autres, dont un recueil qui fait couler de l’encre dans les médias italiens. « J’ai rencontré le skipper de « Papago », le bateau utilisé par Mario Moretti, le chef des Brigades rouges, pour transporter des armes en Méditerranée et je me suis mis dans sa peau pour raconter cette histoire ». La greffe a pris, l’auteur décide de se consacrer à temps plein à l’écriture. Il va pouvoir aussi s’adonner davantage à la plaisance car « voyager, c’est vivre », confie-t-il. Un goût qu’il partage avec ses éditeurs italiens qui mènent bien leur barque. 300 ouvrages au catalogue dont la traduction italienne du succès mondial “Les Rêves de mon père” de Barak Obama et une jolie moisson de prix. Y sont également édités Daniel Cohn-Bendit, Jean Chalon, Julien Green, Mathias Enard, Hubert Mingarelli, ou encore Jean Teulé.
Les sirènes françaises
C’est en menant ses investigations sur Robert Clark, qu’Andrea Cappai rencontre pour la première fois la communauté de passionnés réunie au sein du Yacht Club Classique de La Rochelle, qui lui fait les yeux doux. N’est-ce pas là l’occasion de quitter l’Italie ? D’autant plus qu’il ne reconnaît plus sa ville, qu’il trouve « dénaturée ». « J’ai proposé à mes éditeurs, devenus des amis, de créer la branche française de Nutrimenti. Tu es fou ! m’ont-ils répondu tout en acceptant de me soutenir. » Les éditions Zeraq, du nom du quart de zéro à quatre heures du matin, sont prêtes à jeter l’ancre à Bordeaux, une grande ville proche de La Rochelle, le futur port d’attache de « Finora ». Ne reste plus qu’à rallier la destination en famille et en bateau.
Le voyage est programmé pour l’été 2013. Pendant 40 jours, Andrea, Eleonora — son épouse —et Adriano — leur fils de neuf ans— partageront la cabine de 8 m2. Le voyage dure en effet plus longtemps que prévu. Le bateau avec sa quille fixe adaptée à la course au large renâcle sur le canal du Midi. Les gros orages qui font tomber le clocher de Pauillac sont évités de justesse. « Notre arrivée en fanfare à Royan lors du traditionnel concert de fin juillet reste un souvenir fort. »
Au gré des rencontres
Avec Zeraq, l’éditeur a fait le choix de moderniser les grands classiques du récit de voyage ainsi que de publier des manuels techniques, soit une quinzaine d’ouvrages en un an et demi. Il s’appuie sur la force de frappe de la maison mère, avec des ouvrages qui devraient faire date comme la traduction du “Radeau de la Méduse” de l’Anglais Jonathan Miles,“Seul autour du monde” du navigateur Joshua Slocum, un intemporel accessible à tous les amateurs de voyage, préfacé par l’auteur suédois de romans à succès Björn Larsson, ou encore « Sahara inconnu » (février 2016), le journal de László Almásy, aventurier hongrois sur les traces de la cité légendaire de Zarzura, dont le personnage a inspiré le film « Le Patient anglais ».
Le quingagénaire entend également, pour son programme éditorial, se laisser porter au gré des rencontres. Après Delphine Gachet, traductrice bordelaise, qui lui vient en aide par hasard sur le canal du Midi alors qu’il est en difficulté pour le passage d’une écluse, c’est l’auteur Jean-Luc Coudray dont il fait connaissance dans la rue où ils vivent tous deux. Résultat : Delphine traduit “La Malle de Conrad” un récit sur les années de mer de l’écrivain à paraître en 2016 et Jean-Luc s’attaque à un recueil d’histoires de pirates, qui sera présenté par Zeraq lors des prochaines Escales du livre. L’escale bordelaise du Vénitien semble bien partie pour durer.