Le rideau se lève

©patricia-marini

Article paru le 07 mars dans Le Mag de Sud Ouest

Cet article paru le 07 mars dans Le Mag de Sud Ouest racontait comment des enfants éloignés de cette forme d’expression découvrait l’envers du décor du théâtre. Un dispositif porté par la scène nationale Carré-Colonne qui s’est vu interrompu, comme beaucoup d’actions culturelles, par le coronavirus. Le thème “apprivoiser nos peurs” en était presque prémonitoire.

Le spectacle vivant est peu représenté dans le Médoc. Partant de ce constat, Carré-Colonnes, scène nationale située aux portes mêmes de ce territoire, a déployé un projet culturel itinérant invitant les enfants à apprivoiser leurs peurs. Démarré l’année dernière avec les maternelles, il se poursuit avec les élèves du CP au CE2 en impliquant bibliothèques, écoles et centres de loisirs. Avec un thème « le dehors », abordé lors de spectacles, mais aussi d’ateliers de philosophie ou de créativité. À la rentrée 2020, ce sera au tour des collégiens. Le Mag a suivi les différentes étapes de ce dispositif.

18 septembre, 14 h 45

Les Colonnes à Blanquefort

©patricia-mariniDans la salle de spectacle, la cinquantaine d’enfants des six centres de loisirs de la Communauté de communes Médoc-Estuaire piaffe d’impatience. Sur scène, les deux jeunes acteurs allongés semblent dormir. Betty Heurtebise, de La Petite Fabrique, compagnie associée au projet, a mis en scène les « Souliers de sable ». « Vous allez voir une étape du spectacle en répétition. Il se passe des choses avant et après, mais aujourd’hui nous commençons à cet endroit. C’est ce que nous appelons un filage avec décor et costumes », annonce-t-elle. Musique : les acteurs se réveillent et la magie opère. Jusqu’à ce que Betty reprenne la parole pour inviter les jeunes spectateurs©patricia-marini à aller poser leurs questions aux techniciens et aux comédiens. Valérie, l’éclairagiste lance les images qui font vivre le décor depuis son pupitre de commande. « Nous avons fabriqué ces images pour montrer ce qui se passe dans la tête des personnages », explique-t-elle à la petite troupe qui l’entoure. Betty, elle, les interroge sur ce qu’ils ont vu : « j’aime bien quand Léo fait son malin », dit l’un. « Je voudrais que ce soit encore plus drôle », renchérit l’autre. Pour illustrer le thème du dehors, elle a choisi ce texte de Suzanne Lebeau parce qu’il « parle d’émancipation ». Les enfants découvriront la pièce dans sa totalité lors d’une série de représentations auxquelles ils assisteront fin mars. Entre-temps, ils auront aussi participé à des ateliers.

Samedi 8 février, 10 h

Bibliothèque de Castelnau-de-Médoc

©patricia-mariniLes bibliothécaires ont fait le vide pour installer une trentaine de chaises. Les enfants s’assoient devant, sur de grands nénuphars verts, pour assister à la représentation de « Charlie et le Djingpouite [1]», une forme courte qui peut s’adapter à n’importe quel lieu. Mélanie Molinier, du réseau des bibliothèques de la Communauté de communes médullienne, explique : « Nous allons accueillir deux inventeurs d’histoires. Dans cette enveloppe, ils vont trouver 16 mots avec lesquels ils vont créer une histoire. » Les acteurs arrivent, lisent les étiquettes en les commentant, et embrayent : « Charlie a deux cheveux… » « Ho ! s’exclame une petite voix dans la salle, moi aussi je m’appelle Charlie ! » Il n’y aura pas d’autre interruption pendant ce récit qui joue sur les mots jusqu’à l’absurde. Sa force : donner l’impression aux bambins que l’histoire se crée sous leurs yeux.

Puis c’est au tour de Miren et Aurélie, des Araignées philosophes, association spécialisée dans la médiation culturelle et théâtrale, de prendre le relais pour animer un « Jeu du dehors ». L’objectif : « Faire vivre aux enfants l’expérience des personnages. » Elles leur demandent d’imaginer un animal et un objet aux pouvoirs fabuleux à partir de la contraction de deux mots. On discute, on écrit, on dessine et on décrit aux autres son « sounard » (souris-renard), ou son « chanouille » (chameau-grenouille). Puis les bambins, aidés de leurs parents, se voient lancer le même défi qu’aux acteurs : inventer une histoire. Après une heure d’atelier, ils auront non seulement exploré les mots, mais également débridé leur créativité. Si en début de séance le sage « sounard » imaginé par une fillette au carré châtain se contentait « de prendre les salades pendant la récolte », il finit par « envoyer de l’eau avec sa queue pour éteindre les incendies ».

Mardi 18 février, 13h30

Ecole primaire d’Arsac, classe de CE2 de Cécile Marino

©patricia-mariniLes élèves entrent en classe et s’installent en cercle autour de Miren. La médiatrice des Araignées philosophes anime ce jour-là l’un des ateliers destinés à concevoir un « Grand livre du dehors ». Elle les invite à présenter leur « chaussure magique », une mission qu’elle leur a confiée lors de la séance précédente. La chaussure du dehors de Nathan « nous emmène n’importe où », et celle de Solan ressemble à un loup. D’autres volent, parlent, envoient des bonbons ou de l’eau. Ces dessins seront adressés aux enfants du centre de loisirs chargés, eux, de leur donner forme. Le projet a permis de tisser du lien entre les professeurs des écoles, les animateurs et les bibliothécaires. « Nous avons réfléchi ensemble à des actions communes », précise l’enseignante Cécile Marino. ©patricia-mariniIl l’a aussi inspirée pour des exercices de lecture ou d’écriture sur le thème des peurs ou du temps. Le temps c’est justement la thématique choisie par Miren pour aujourd’hui. Comment mesure-t-on le temps ? peut-on l’arrêter ? passe-t-il plus vite quand on est éveillé ou quand on dort ? Quand on est dedans ou dehors ? « Ça passe plus vite dedans car on peut lire l’heure », répond un garçon à lunettes. « Dehors en récré, je joue avec mes amies et ça passe plus vite », objecte une grande brune. « Ce travail d’ouverture à la philosophie amène une nouvelle façon de réfléchir », poursuit Cécile. Puis Miren leur demande de se mettre d’accord pour décrire une journée type en 12 activités, ou 12 sabliers comme dans « Les Souliers de sable », avant d’attaquer une nouvelle mission. Leur « Grand livre du dehors » devra être prêt pour « Festi’Famille », qui se déroulera samedi 16 mai à Arsac, ainsi que pour l’échappée belle des 4 et 5 juin. Le festival familial de Blanquefort se transformera cette année en grande fête du dehors.

Difficile d’imaginer à ce moment-là que quelques jours plus tard, les enfants n’iraient plus à l’école et que nous serions tous confinés.

 

scène nationale
Carré-Colonnes est labellisé depuis début janvier Scène nationale. Une jolie manière de célébrer dix années de mutualisation entre deux scènes, Le Carré à Saint-Médard-en-Jalles et Les Colonnes à Blanquefort. Outre la création et la diffusion de spectacles, cette labellisation lui permet désormais de déployer des actions au long cours dans le Médoc, en impliquant les habitants et les acteurs locaux, dans l’optique de favoriser l’éducation artistique. Avec une dotation de l’État de 400 000 € sur quatre ans pour les mener. Plusieurs évènements sont prévus en 2020 pour célébrer cet anniversaire.

 


[1] Mise en scène Betty Heurtebise et Stéphanie Cassignard d’après un texte de Martin Bellemare