In vino feminas

Viticultrices, maîtres de chai, chefs de culture, œnologues, sommelières, les femmes ont pris de la bouteille. Elles sont aussi devenues des amatrices éclairées. La preuve en six portraits de femmes du Bordelais, qui ont su s’affranchir du poids du passé et des traditions pour faire leur place. Rencontre avec Sandrine Garbay, Karine Vallon, Salomé Arribet, Anaïs Maillet, Bérénice Lurton, Laurence Ters de la Verrie …(à découvrir dans Le Mag).

“Plutôt un rôle de distributrices que de consommatrices”

Ségolène Lefèvre, historienne de l’alimentation installée en Entre-deux-Mers, s’est intéressée à la relation des femmes avec le vin et à l’évolution des perceptions et des pratiques. Elle nous livre son analyse.

Comment les femmes ont-elles réussi à conquérir ce bastion masculin ?

L’élaboration du vin et la culture de la vigne sont longtemps restées fermées aux femmes. Dans l’Antiquité, les divinités du vin étaient masculines, sauf en Égypte et en Mésopotamie. L’unique exemple de propriétaire de vignes est celui d’une Romaine d’Égypte en 257. Au Moyen Âge, seules les moniales sont autorisées à faire du vin, pour le service divin, pour le devoir d’hospitalité, mais également comme monnaie d’échange. À partir du XVIIIe siècle, des femmes d’exception sont propulsées à la tête de domaines de prestige au décès de leur mari. C’est le cas de Françoise- Joséphine de Sauvage d’Yquem, qui se retrouve aux commandes du domaine apporté dans sa dot et, en Champagne, des jeunes veuves Clicquot et Pommery. Plus tard, elles prendront le relais des hommes partis au front. La révolution s’opère dans les années 1970, quand elles délaissent la commercialisation, domaine dans lequel elles étaient cantonnées, pour la production. Aujourd’hui, leur constance a été récompensée : un quart des exploitations sont aux mains des femmes, contre 15 % il y a vingt ans.

Le vin produit par les femmes est-il différent de celui produit par les hommes ?

La notion de vin de femme est une invention marketing, le vin exprime le travail dans les vignes et les chais. À partir du moment où les femmes ont passé des diplômes de viticulture et d’œnologie, elles possèdent les mêmes capacités que leurs homologues masculins. Elles ont montré de quoi elles étaient capables, élaborant d’excellents vins et faisant preuve souvent d’un réel souci de l’environnement.

Les cercles de dégustation ne sont-ils pas longtemps restés réservés aux hommes ?

Tout au long de l’histoire, les femmes se sont vu offrir plutôt un rôle de distributrice que de consommatrice. On a aussi davantage fustigé l’ivresse féminine. Les femmes pouvaient boire à condition que cela reste décent. Elles ont effectivement toujours bu du vin, mais plutôt dans l’ombre. Pour autant, Mme de Sévigné avoue sans fard dans ses écrits une préférence pour les chablis, et la princesse Palatine fait la promotion du bacharach de son pays natal.
Plus tard, Colette ira jusqu’à décrire son apprentissage précoce de la dégustation. L’œnologue et chercheur Émile Peynaud considérait qu’elles « apportaient à la dégustation leurs qualités d’intuition, de prise en compte globale des sensations, et le côté émotionnel, que négligeaient les papilles blasées ». Aujourd’hui, elles goûtent le vin et l’apprécient sans complexe. Il n’existe pas plus de vins de femme que de vins pour les femmes, car c’est la connaissance et l’expérience qui font apprécier à leur juste valeur des vins moins faciles, moins séducteurs, aux arômes et aux goûts plus typés, plus personnels.

« Les Femmes et l’Amour du vin », de Ségolène Lefèvre, éditions Féret, 2009, 19 €.