la nouvelle vague des baristas

L'ultime raffinement de latte art, ou l'art de dessiner avec la mousse de lait à la surface du café. Patricia Marini-Metge

On ne boit pas toujours du bon café en France. De jeunes baristas et torréfacteurs de la région relèvent les manches pour élever le niveau de qualité.

©patricia-mariniDans ce coffee shop au décor acidulé ouvert début avril à deux pas de la grosse cloche, à Bordeaux, les expressos, macchiatos, cappuccinos, latte et autres cafés filtre préparés par le jeune barista Antoine Jaffrelot sont servis avec de délicieuses pâtisseries maison. Créé par Hélène Durif, tout juste 26 ans, Peter (comme Peter Pan) vient gonfler la liste déjà longue des établissements bordelais consacrés au café. Au point de placer la capitale girondine au deuxième rang des villes les plus dynamiques en la matière, après Paris.

À Bordeaux, plus question de prendre à la légère cette boisson qui, à force d’habitude, en avait parfois oublié d’être bonne. « Avant, on buvait du café pour la sociabilité plus que pour le goût », reconnaît Laure Jubert, ancienne barista désormais à son compte. L’arrivée du café de spécialité sur le marché français, au demeurant très en retard par rapport aux pays anglo-saxons, a bouleversé la donne. Ces grains « respectueux des hommes, du palais et de l’environnement », selon Alexandre Bellangé, directeur de Belco, leader sur ce marché en France et en Europe, se caractérisent par leur traçabilité et leur absence de défauts agricoles, tout en exprimant un terroir, avec une saisonnalité. Ils racontent aussi une histoire, celle des hommes qui les produisent, à laquelle est sensible une jeune génération de baristas, de torréfacteurs et de consommateurs.

Arthur Audibert fait partie de ceux qui ont ouvert la voie. Après une carrière parisienne de conseil en stratégie, il s’est lancé dans la torréfaction il y a six ans en installant son atelier à Darwin, le lieu alternatif de développement économique, rive droite. Amateur de bonnes choses, il recherchait une activité plus proche de ses valeurs.
« ON LE CONNAÎT MAL »
« Il y a un déficit de culture en France à propos du café. On le connaît mal et on en boit du mauvais », considère-t-il. Aujourd’hui, L’Alchimiste est devenu une référence, en pleine croissance. Après une boutique en centre-ville il y a deux ans, il investira d’ici à la fin de l’année les Magasins généreux de Darwin, avec un lieu cinq fois plus grand, alliant torréfaction et dégustation. Pauline Savin, elle, a quitté le secteur du négoce du vin pour se lancer dans le café.

©patricia-mariniDans son Gusco, un coffee shop de poche installé en face de la caserne des pompiers, elle est torréfactrice, barista et pâtissière. Un cumul des rôles pour maîtriser l’ensemble du processus. « Le torréfacteur doit rechercher l’équilibre et le barista doit faire preuve de vigilance sur le grammage, la mouture et le temps de l’extraction », analyse-t-elle. Et les initiatives se multiplient. Comme celle de Laury Castets, qui allie la notion de café au comptoir à celle de mobilité et de qualité, en déplaçant son Moka Coffee Truck sur les campus universitaires. Il est torréfié par Dimitri Grodwohl, qui a installé son Oven Heaven cours de la Marne, à côté de la Victoire, un emplacement choisi par envie de rendre ce café d’exception accessible à tous. Avec son frère pâtissier, il s’était auparavant fait la main en Australie, un passage quasi obligé.
ENTRAÎNER SON PALAIS
©patricia-mariniMorgane Daeschner, arrivée depuis peu à Bordeaux, est ingénieure agronome spécialisée en développement agricole. Elle a fait de la dégustation son métier et vient de créer le Cupping Club. Une box mensuelle qui permet aux professionnels et aux amateurs avertis de tester cinq variétés fraîchement torréfiées, issues d’une plantation, d’un terroir, d’un pays. Un moyen d’entraîner son palais à partir de comparaisons, de construire une expertise et de partager ses expériences. Ce phénomène reste malgré tout très métropolitain.
« À Bayonne, les trois coffee shops qui avaient ouvert ont fermé », déplore ainsi le Normand Florian Bailleul, qui, avec son épouse libanaise, Wafaa, a inauguré en juin 2017 sa Torref’ dans le quartier Blancpignon à Anglet. « Pour que le café au comptoir soit rentable, il faut faire de la quantité ou trouver une activité secondaire. Le coffee shop, c’est notre vitrine, mais c’est la torréfaction qui nous fait vivre », poursuit-il. Avec les pâtisseries de Wafaa, qui attirent une clientèle multigénérationnelle.
Pour Mathieu Ducros, à Hossegor, la saisonnalité de l’activité peut aussi être un frein. Cela ne l’a néanmoins pas empêché de se développer. Cet ancien marin pêcheur qui a vécu au Gabon et à La Réunion vient de déménager son atelier de torréfaction connu sous le nom de Marlin noir, dans un espace de 150 mètres carrés de la zone artisanale Pédebert, pour y adjoindre un lieu de dégustation qui s’appellera dorénavant le Volt Café Brûlerie.
Un développement qui passe, selon lui, par la vente aux professionnels comme les hôtels-restaurants, encore peu nombreux à faire confiance à des petites structures artisanales comme la sienne. Il livre notamment Benjamin Gapin, qui, après Les préparations douces du café, et notamment le café filtre, reviennent sur le devant de la scène. Ici, préparé par le barista Antoine Jafrelot, du coffee shop Peter, à Bordeaux huit ans de voyages à travers le monde, a décidé de se poser pour lancer un surf et coffee shop dans le centre-ville de Royan. Son Tallow’s Café rend hommage à une plage australienne, où il avait l’habitude de boire son latte quotidien avant de se lancer dans les vagues. Le café aussi fait des vagues. Il en est d’ailleurs à sa troisième, si l’on en croit tous ces experts. Après la popularisation du café domestique, après guerre et jusque dans les années 1990, puis l’arrivée des grandes enseignes urbaines comme Starbucks, l’offre mise désormais sur la qualité et la diversité. Portée par cette génération de trentenaires motivés, cela pourrait bien devenir une lame de fond.